Route maritime de Napoléon au retour de l’île d’Elbe

La route maritime Napoléon de l’Elbe à Golfe-Juan

 du 26 février au 1er mars 1815

 

Situation en automne 1814 : Napoléon destitué est à l’île d’Elbe depuis plus de 6 mois. Louis XVIII remis sur le trône 23 ans après, gère la situation de la France assez médiocrement par rapport à la période glorieuse de l’Empire.

Napoléon roi de l’île d’Elbe est parfaitement au courant de la situation en France et en Europe grâce à ses espions et aux lettres et journaux qu’il reçoit par ses filières maritimes secrètes. Napoléon a avec lui, une  troupe de fidèles: 1500 soldats, officiers et amis ; il a à sa disposition, pour commercer, le brick l’Inconstant et le chèbec Etoile. Pour le surveiller à l’Elbe, le colonel Campbell (Anglais) et son équipage sur la corvette Partridge habitent sur place. Mais le colonel  s’absente assez souvent à bord de sa corvette pour des missions dans des ports alentour.

Le temps passe, Louis XVIII oublie de payer la pension promise à Napoléon. En moins d’un an le roi de l’Elbe a dépensé la moitié de sa fortune personnelle. Son fils l’Aiglon 4ans, et Marie-Louise sont  retenus en Autriche. Il se voit  finir seul, ruiné sur cette île, perspective qui ne l’enchante guère. De plus, à Vienne, on parle de le déporter dans un lieu plus sûr: Sainte-Hélène, l’Amérique? Il est convaincu qu’il doit partir, et revenir en France. Il  projette très secrètement un retour en bateau avec toute sa cour et ses fidèles pendant l’hiver qui arrive. Il doit profiter des nuits qui sont longues et choisir une nuit sans lune. Revenir en France au nez  et à la barbe des Alliés de l’Europe et renverser Louis XVIII, c’est un sacré pari mais il n’a plus rien à perdre, c’est sa chance de survie ou la possibilité d’en finir glorieusement. Il n’a que 45 ans.

Cette décision restera secrète, il la garde pour lui seul. Il n’annoncera le départ dans son proche entourage que 3 semaines avant, tout en restant très flou sur la destination. Beaucoup pensent que ce sera Naples où est son beau-frère Murat roi de Naples ou Milan. Napoléon  a volontairement brouillé les pistes pendant 2 mois.

La nouvelle lune du 8 décembre ne donne pas le temps de se préparer. Puis le 13 janvier l’Inconstant parti chercher du blé à Civitavecchia, est victime d’une voie d’eau et s’échoue en arrivant dans Porto Ferraio. Pour la nuit sans lune du 9 février, il faut renoncer car l’Inconstant n’est pas prêt. Le 18 février ce dernier fait des tests en mer mais il y a encore une voie d’eau et le temps presse. La prochaine opportunité se situe au cours des nuits du 26 au 28 février 1815.

A partir du 21 janvier les plus proches de Napoléon ont des missions à accomplir qui leur font deviner le départ imminent mais ils en ignorent la destination. Le secret est très bien gardé. Le 16 février d’autres préparatifs sont lancés et les raisons se font plus précises: le général Drouot demande que l’Inconstant soit peint aux couleurs d’un brick anglais et approvisionné pour 120 hommes, pour le 24 février et ce pour une période de 3 mois. De grosses barques sont mobilisées par Pons de l’Hérault pour cette même date.

Le Partridge part avec Campbell le 16 pour Livourne et Florence. Campbell signale qu’il ne sera pas encore rentré pour aller au bal organisé par Pauline, la petite sœur de Napoléon, le 26 février. Date décisive. Napoléon en déduit qu’il doit partir au plus tard d’ici le 26.

Campbell se trouve donc à Livourne et Florence, mais il est inquiet. Le 24 il envoie son capitaine sur le Partridge pour une inspection à Porto Ferraio. Ce dernier trouve que tout est normal et repart aussitôt. Pourtant toute la flotte des bateaux rassemblés dans la rade  de Porto Ferraio est fin prête, mais, pour faire diversion, les soldats de Napoléon sont affairés à entretenir les espaces verts. La voie est libre !

Le 26 février au petit matin après une nuit presque blanche, Napoléon annonce que le départ sera donné le soir même et déclare à ses très proches seulement que ce sera vers la France! Grande émotion sur toute l’île, grande agitation et un sentiment de vivre un moment historique avec de gros enjeux. La nouvelle du départ se répand dans l’Elbe en quelques heures.

Napoléon prend le temps d’aller à la messe à la cathédrale (c’est dimanche), il s’applique aux derniers préparatifs et veut que tous ses soldats soient correctement habillés et équipés. Il fait ses adieux à sa mère et à sa sœur. Puis l’après-midi c’est le grand rassemblement sur le môle de Porto Ferraio. Devant la flottille qui est à quai, tous les notables de l’île sont là accompagnés d’une foule de plusieurs milliers d’habitants venus faire les adieux. Il faut passer les consignes et donner la nouvelle organisation sur l’île. Les embarquements sont longs mais sont faits dans l’ordre et le calme. Les 1000 soldats et fidèles sont répartis comme suit :

- 500 hommes de la Garde iront avec Napoléon sur l’Inconstant, chargés de plusieurs chevaux, des coffres d’or, d’une dizaine de canons de campagne en plus des 26 canons de l’Inconstant. Pons de l’Hérault qui espérait rester à l’Elbe et pensait en devenir le gouverneur aura la surprise au dernier moment d’être invité par Napoléon à s’embarquer, sans délai, sur l’Inconstant.

- 100 Polonais se serreront sur le chébec Etoile.

- 400 Corses et volontaires Elbois sont répartis sur les 5  embarcations amarrées au môle dans Porto Ferraio:  l’espéronade la Caroline (caboteur maltais) , les 2 felouques  de Pons de l’Hérault l’Abeille et la Mouche (qui sont des transporteurs de minerais à Rio Marine),  le Saint Joseph appartenant à un Elbois et la  polacre Saint Esprit qui venait de Marseille pour commercer et qui a été retenue à l’Elbe.

Voilà ce qui constitue la petite flotte qui va partir vers la France : Un brick, un chébec et 5 barques de commerce.

C’est la fin de l’après-midi. Napoléon avait préparé ses discours de départ, à l’énoncé de ceux-ci,  l’émotion est à son comble. Tout le monde pleure. Les adieux se font devant cette foule émue, aux cris de « vive l’Empereur! »

Le soir à 19h, l’Empereur et sa suite embarquent sur l’Inconstant et larguent les amarres en saluant d’un coup de canon, pour donner le signal du départ.

C'est la fin des discours, on va embarquer

Le retour de Napoléon-Joseph Beaume. Départ le 26 février 1815 à Porto Ferraio- clic sur image

 

Le soir du 26 février à l’Elbe, il fait beau temps et la petite brise de terre du soir les éloigne doucement sans bruit, l’instant  est solennel. Au bout de 6 milles, dans le noir complet le vent tombe pendant toute la nuit.

Ce 26 février, du côté de Livourne, Campbell est très soucieux. Dès le retour du Partridge ce jour, il décide d’aller voir de ses yeux à  Porto Ferraio si tout est normal. Il  s’embarque aussitôt à Livourne au même moment où la petite flotte de Napoléon appareillait. Cette nuit là ils vont être, chacun de leur côté, victimes du manque de vent.

A 7h du matin le 27, une jolie brise de sud sud–est se lève, la flottille de l’Elbe démarre vent arrière et le Partridge de Campbell tire son premier bord (babord-amure) ayant le vent debout.

A 10 h les gens de l’Inconstant voient au loin vers le nord des voiles, on reconnait le Partridge avec les voiles bien éclairées par le soleil. Angoisse à bord ! On envisage l’affrontement. Pour aller plus vite et bien manœuvrer on coule le gros canot tiré par l’Inconstant et on le largue. On gagne un demi-nœud permettant d’aller à 5 nœuds. On est prêt à combattre. Mais soudain le Partridge, vire de bord et s’éloigne vers la Toscane. Soulagement ! Il semble que l’Inconstant et la flottille n’étaient pas visibles pour les gens du Partridge car éblouis par les reflets des rayons du soleil sur la mer.

Mais peu après vers 14h, les gens de l’Inconstant aperçoivent très bien à contre jour vers Capraia les formes des 2 corvettes : Fleur de Lys et Melpomène qui sont armées par le roi Louis XVIII pour surveiller depuis peu la zone du Cap Corse. Mais elles ne s’approchent pas, la brume de l’après midi devait estomper les voiles blanches de la flottille qui à ce moment là s’était un peu dispersée. Certains à bord pensaient que le secret du départ avait été découvert et l’alerte donnée, Napoléon les a rassurés en affirmant que ce secret lui appartenait à lui seul, et que c’était un pur hasard de rencontrer ces navires.   Puis dernière rencontre dangereuse, à 18h, sortant de la brume, un brick navigue vers l’Inconstant à faible distance. Tout le monde à son poste, on se couche sur le pont et se cache derrière le pavois. Les sabords sont une fois de plus levés au cas où ?  C’est le Zéphir reconnait Taillade à la lunette, second de Chautard nouveau Capitaine de l’Inconstant. Taillade connait bien le capitaine de ce bateau, c’est un camarade qui le commande, le capitaine Andrieux passé côté royaliste.

huile sur toile, 1852 par Ambroise-Louis Garneray, Musée National du Château de Versailles- 187x277

Le Zéphir à gauche croise l'Inconstant Ambroise-Louis Garneray. Clic sur image

Voir réponse dans commentaire dessous « Le secrétaire de l’Empereur »

 

Les 2 capitaines peuvent se saluer et se dire quelques mots au passage « On va à Livourne » dit Andrieux, « et nous on va à Gênes » dit Taillade. « Comment va l’Empereur (certains disent: Papa) ? » Napoléon était couché comme la plupart de l’équipage derrière le pavois à côté de Taillade. Il lui prend le porte voix et répond en criant «à merveille». Le Zéphir est passé et disparaît dans l’obscurité de la brume. Ouf !

Puis, c’est la décompression et  l’allégresse à bord, plus rien ne semble pouvoir arrêter cette navigation qui prend des allures de fête. La nuit du 27 au 28  le vent va tomber et on mangera de bons plats, «repas de famille» dira-t-on; et on dormira bien.

La même nuit, Campbell n’est pas arrivé encore à Porto Ferraio, le vent est tombé aussi, il ne sait toujours pas si l’Inconstant est au port ou pas. Il ne découvrira la farce que le 28 à 13h.

Hypothèse route maritime

Napoléon déjoue la surveillance du colonel Campbell et celle des navires royalistes qui patrouillent. Clic sur image

 

Deuxième jour. Le jour du 28 se lève et il soufflera toute la journée une jolie brise. La navigation à 5 noeuds est une croisière agréable où le moral est gonflé à bloc, au loin vers le Cap Corse croise un voilier, mais pas de soucis. Napoléon annonce officiellement que « on va en France, on va à Paris ! », réponse par des vivats. Napoléon s’installe sur le pont au milieu de ses soldats et repense ses discours pour le peuple de France et pour l’Armée ; et il les lit à ses gens pour voir leur réaction, c’est l’enthousiasme. Proclamation: ‘ …..L’aigle, avec ses couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame,…. Sur le  pont règne une ambiance  de fête, on mange, on boit et on rit.

Troisième jour, arrivée. Le beau temps se fait printanier et profitant de la brise de terre italo-française pendant la nuit, et de la brise de mer dans la journée du 1er mars, la flotte se regroupe un peu et sur mer plate en glissant silencieusement à 3 nœuds, aborde la plage de Golfe Juan très tranquillement vers midi. Créant une surprise incroyable quand les habitants découvrent que c’est la flottille de Napoléon en personne qui débarque peu après.

La navigation a duré 65 heures pour faire 160 miles marins. Ce qui fait 2,5 nœuds de vitesse moyenne.

Pendant ce temps Campbell cherche Napoléon entre Gênes Livourne, Naples et le Cap Corse, et ne saura qu’il a débarqué en France que le 5 mars en faisant escale à Antibes, alors que Napoléon arrive déjà à Gap.

Carl-Heinrich Rahl- Burin eau forte en couleur, papier

- Musée de l'Armée.Carl-Heinrich Rahl , D'après info de Johann Adam Klein -Clic sur image

 

 

Sources :

 - L’île d’Elbe et les Cent-jours- Alexandre Dumas-  Revue de Paris (Bruxelles) Tome XII décembre 1839- Livre numérisé sur  books.google.fr

 -Trois cents jours d’exil, Napoléon à l’Ile d’Elbe- Guy Godlewski – Hachette 1961. Nota : Dans ce livre on voit une ébauche de la navigation de la flottille. Je l’ai modifiée et enrichie avec mes connaissances de la navigation à la voile dans ce secteur. En étudiant la carte, la route décrite par les différents auteurs et les temps de parcours ainsi que la rencontre avec le Zéphir indiquent que la route s’infléchit vers Gorgone. Napoléon est ainsi passé très au large du Cap Corse.

- Marie-Hélène Baylac- Napoléon Empereur de l’Île d’Elbe Edit Taillandier Paris 2011-  Numérisé en 2013 avec le Centre National du Livre sur  books.google.fr

- Pons de l’Hérault – Mémoires aux Puissances alliées- Publié par Léon Pélissier- 1899

- Le retour de Napoléon-  Huiles sur toile, de Joseph Beaume 1836 -Musée National du Château de Versailles, et, de  Ambroise-Louis Garneray  1852– Musée de l’Armée –

 

Deux raisons ont motivé ce récit. La première est que nous fêtons le tricentenaire de la création de Bandol, notre village, le 8 janvier 1715. Rien à voir avec Napoléon, mais ce retour de l’Elbe s’est fait en 1815, cent ans après, et à bord de l’Inconstant se trouvait un ami des Bandolais. Celui-ci avait sauvé 32 Bandolais en 1793 : chargé de les emmener à la guillotine, il  les avait fait fuir et avait défendu leur cause avec succès auprès de Robespierre et de Salicetti. Il n’avait que 21 ans et, en tant que capitaine,  commandait le fort de Bandol. En cette qualité il a participé  au siège de Toulon, toujours en 1793, avec le lieutenant Bonaparte avec qui il s’est lié d’amitié, ils ont fêté ensemble leurs galons (l’un commandant et l’autre général) à l’Auberge du Port à Bandol.

Puis ce monsieur très Républicain, s’est éloigné de Napoléon et a trouvé une bonne situation à l’île d’Elbe. Plus de 20 ans après, le 4 mai 1814,  Napoléon, qui venait juste de débarquer à l’île d’Elbe, est allé le voir à cheval à Rio Marine et ils se sont donc retrouvés, leur amitié s’est resserrée pendant les 300 jours de l’île d’Elbe et les 100 jours qui ont suivi. Ce monsieur est André Pons de l’Hérault. Bandol lui a dédié une rue; et sa mémoire y est connue et respectée.

La deuxième raison est que nous aimons naviguer à la voile. Certains font de petites croisières, entre Hyères et les îles de l’est dont l’Elbe, pèlerinages sur les traces de Pons de l’Hérault et de Napoléon.

Jean Grillon